Bertille, une petite boule de deux mois, sortant de la masse de ses frères et soeurs, s'avançait joyeusement vers nous.

Nasa

   Elle avait choisi, sans le savoir, d'entrer dans la famille; plus qu'elle, c'était la mâchoire à tiroir sortant de quatre petits GOJ à vaincre ma réticence pour une autre charge sur le mois; le chéquier sorti, en date du 8 mai 1986 se consommait le passage de propriété.
   J'aimais ce chien, dit en France de Saint Hubert. Il était le rêve de mon enfance, un Bloodhound, le chien ayant le flair le plus puissant du monde.
   Le soir précédent j'avais montré aux enfants sa photo; ils avaient tellement ri en voyant les rides tombant de tous les côtés que je les avais renvoyés au lit, fâché, en jurant que jamais ni chien ni chat ne seraient jamais entrés dans ma maison.
   Le remords de la nuit m'avait donné le courage de proposer, vers 6 heures du matin, une visite à un élevage proche de Chartres. A 6h 30 toute l'équipe était prête pour l'expédition.
   Ainsi, d'un élevage à l'autre nous étions arrivés à Scaër, proche de QUIMPER.
   A 19 heures, sous l'une des rares violentes tempêtes bretonnes, nous étions sur la route du retour à Paris.
   Le 23 juin marquait ma deuxième défaite: un chat entrait chez moi; seul concession à ma fierté blessée, le nom: Whisky, le même que celui du chat que j'avais reçu en cadeau par mon ami Jim FISCHER, véritable pur sang écossais. Entre temps le nom Bertille avait été changé en NASA plus convenable dans notre langue pour signifier celle qui voit tout par son nez.
   Whisky grandissait comme un chat de gouttière, Nasa ressemblait de plus en plus à Pluto.
   Walt Disney s'était très bien imprégné des habitudes et du caractère de ce chien, qu'il avait pris comme modèle pour son personnage.
   Nasa, tel un sosie de Pluto, surprise sur le fauteuil, le quittait en y épousant avec la forme de son corps, les angles droits.
   La sirène d'une ambulance s'approchant de la clinique de Massy,

l'avait tellement séduite, que la bouche, transformée en trompette, faisait avec celle-ci une fantastique chorale: whisky, suspendu à sa queue, flottait dans les airs comme une banderole.
   Whisky et Nasa étaient devenus un duo inséparable. Aux attaques du chat, le dos recourbé vers le haut, la queue dressée et gonflée, Nasa s'éloignait effrayée devant Whisky Lancé à sa poursuite.

Whisky

   D'une rapide manoeuvre de contre-attaque Nasa, avec sa grande taille écrasait complètement Whisky.
   Plus rien ne bougeait.
   Nous nous disions: elle l'a tué avec son poids.
   La grosse tête levée, les lèvres encore retombantes vers le bas, la langue commençait à lécher le minuscule chat, qui rapidement sorti de la grande bouche se repositionnait pour une autre contre-attaque.
   Des matchs de 50 kg contre même pas un, se terminaient toujours sans vaincu ni vainqueurs, mais avec des gestes d'amoureuses léchées qui étiraient Whisky, de douces caresses de petites pattes d'un chat sur les longues oreilles de Nasa.
   Whisky était intouchable; au plus petit reproche Nasa arrivait en aboyant, à sa défense.
   Elle avait grandi.
   Un soir je l'entendis gémir. Elle se déplaçait d'une marche désespérée en s'appuyant à la paroi et son ventre augmentait de volume à vue d'oeil.
   Je l'emmenais d'urgence chez le vétérinaire.
   Dans cette grande taille, dans ce thorax puissant, l'estomac dansait dans un espace trop grand. Walt Disney n'avait jamais parlé de cela. Suspendu à ses extrémités son estomac fit, comme les avions, des tonneaux en fermant ainsi l'entrée et la sortie. Les gaz produits par la fermentation des aliments gonflaient rapidement l'estomac et après, poussant à l'intérieur la peau du ventre, le chien toute entier gonflait comme un ballon.
   Monsieur, me disait le vétérinaire, il faut l'opérer immédiatement, que décidez-vous?
   La question me parut stupide; face à une telle urgence, c'était une perte de temps.

   Nasa fut opérée.
   Quelques mois après le drame se répéta.
   En mai 1988, peu avant le départ en vacances Nasa nous quittait.
   Le retour à la maison était pour Whisky une nouvelle naissance.
   Après l'emprisonnement estival, afin qu'il ne séchappe pas dans une ville inconnue, il y avait la redécouverte des odeurs familiales.
   Il avait un peu plus de deux ans, un âge encore de jeune chat, mais sa vivacité était en train de s'éteindre comme un coucher de soleil.
   Comment ne pas penser au médecin des animaux? D'après lui, le petit coeur était souffrant. Aucun changement ne se manifestait avec les médicaments prescrits.
   - Le coeur souffre - nous-disait on - mais pas pour une maladie du corps. Son esprit est malade d'un amour qui est du aux odeurs, qui remplissent votre maison, mais Nasa n'est plus là. Il vivra, à moins d'un miracle, encore, peut-être, pour une dizaine de jours.
   Le miracle arriva.

Stringa

   Après avoir frappé à plusieurs portes, des enfants arrivèrent chez nous, en tenant entre leur bras une petit boule d'une espèce indéfinissable. Une petite chienne avait été abandonnée sur le parking et était ainsi arrivée chez nous. Elle ne devait même pas avoir quinze jours. C'était une affaire à utiliser le biberon. Un rôle qui convenait aux filles qui jouaient ainsi à la maman. Un intérêt pour une chose étrange aux yeux de whisky, qui jusqu'à ce jour là avait eu l'habitude de voir les êtres vivants se déplacer en marchant à deux ou quatre pattes. Le mouvement avec des roulements irrégulier attirait son attention et son coeur commençait à aimer cette chose qui n'avait pas encore de pattes bien visibles.
   Whisky avait été ainsi sauvé par un nouvel amour pour une chose qui, à cause de l'habitude prise, en grandissant, de défaire les lacets des chaussures, avait été nommée Stringa, qui signifie, en italien, lacet.

Camillo GOJ